le blogue de Béatrice Vaugrante

N’ayons pas peur de …nous.

Posted in Uncategorized by béatrice vaugrante on 10 avril 2012

Il est encore temps de rêver de faire le choix d’un véritable siècle des lumières. Il est encore temps de faire de ce siècle un passage irréversible de l’humanité vers une civilisation qui respecte fondamentalement le genre humain, non pas vu comme un moyen mais vécu comme une fin. Ici et maintenant, on peut commencer.

Les idées de justice et de dignité humaine laissées entre autres par Confucius, les penseurs de l’Islam de l’âge d’or, et de l’ « autre » siècle des lumières ont abouti finalement dans la seconde moitié du XXè siècle à une genèse formidable des droits humains sur la scène internationale : naissance de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, et depuis, des pactes et des conventions internationale qui la renforcent. Et même une cour pénale internationale pour juger de nos pires crimes sur Terre!

Pourtant le XXè siècle a continué d’être une boucherie. Les textes internationaux sont certes très beaux – l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme – mais ces textes restent encore pour beaucoup trop de monde une lointaine réalité.

Pourquoi? De quoi avons-nous peur pour enfin vouloir être libérés de la terreur et de la misère? c’est de cette liberté dont j’aimerais vous entretenir.

Inlassablement de faux choix nous sont rabâchés afin de justifier des politiques qui semblent rassurantes mais pourtant sont fondamentalement dangereuses pour notre liberté, car puisées sur la base de nos peurs. Ces faux choix semblent trouver des oreilles attentives ces temps-ci, ce qui m’inquiète. J’en nommerais 3 :

Identité ou ouverture? Sécurité ou droits humains? Libertés individuelles ou dignité collective?

Identité ou ouverture?

le poète persan Saadi au XIIIè siècle a écrit :

« Les êtres humains sont les parties d’un corps.

Si une des parties souffre

les autres ne peuvent trouver la paix.

Si le malheur des autres te laisse indifférent

Tu ne mérites pas d’être appelé Homme.»

La compassion pour la souffrance d’autrui est un élément essentiel de la philosophie des droits humains. La compassion ne veut pas dire la charité : elle réclame la justice.

L’Autre ne doit pas nous faire peur. Allons à sa rencontre, défendons avec lui et elle sa vie, sa dignité, la possibilité d’avoir des choix, d’être libre donc. Soyons curieux des différences et de l’universalité de notre condition humaine. Parce que vos droits, votre dignité en dépendent. Notre identité se nourrit de notre passé mais elle mourra si elle n’est pas nourrie du présent, si elle ne se colore pas des sons, des histoires et des rêves d’ailleurs.

Tiffany Morrison. Jeune femme sans histoire, entourée de sa mère, de sa sœur, de sa fille. Sort d’un bar, s’engouffre dans un taxi, puis, …plus rien. Disparue. 2006. Qui s’en préoccupe? Pas de une dans les médias, pas de recherche nationale, … Retrouvée morte sous un pont en 2010. C’est trop loin de nos yeux? Kahnawake, juste de l’autre côté du pont. Les femmes autochtones chez nous ont 5 fois plus de risques de mourir de mort violente que les femmes non autochtones. Je me souviendrai longtemps du regard interrogateur de sa mère. Pourquoi?

Nourrir les préjugés envers les autochtones, ostraciser les musulmans, ériger des forteresses contre les migrants et les réfugiés, vouloir habiller ou déshabiller les femmes. Démoniser les personnes qui défendent ces droits.

N’ayons pas peur de notre choix pour identité ET ouverture!

Sécurité ou droits humains?

Au nom de notre sécurité, parce que nous avons peur, nous avons laissé faire des marques indélébiles dans les choix pour les droits que nous avions faits. Notre peur – légitime mais entretenue – nous a permis d’écorner, de tourner les coins ronds, de faire semblant, de dire que c’est « exceptionnel » et « temporaire » « préventif », « pour sauver des vies », de créer des systèmes parallèles et secrets…pour notre bien.

Ceux qui sont prêts à laisser un peu de leur liberté pour un peu plus de sécurité ne méritent ni la liberté, ni la sécurité.

Du temps de Benjamin Franklin déjà, ce faux choix se posait.

La sécurité, pour tous, c’est la justice. C’est se tenir debout, avoir confiance dans nos institutions de justice et notre démocratie, c’est refuser la loi du Talion. Ceux que l’on est censé combattre ont remporté une victoire, amère pour nous : nous avons abdiqué, Guantanamo est leur trophée. Et nous, sommes-nous plus en sécurité?

Torturer ou sous-traiter la torture, détenir illégalement et indéfiniment, offrir des parodies de procès, combattre une « guerre » sans en respecter les lois, marchander les armes sans contrôle, croire que la peine de mort va tout régler. Démoniser les personnes qui défendent ces droits.

N’ayons pas peur de notre choix pour Sécurité ET droits humains!

Libertés individuelles ou dignité collective?

Il faut craindre les recours fallacieux et ô combien abusifs du mot « liberté »!

La liberté ne peut jamais aller sans égalité, elle ne peut pas être sans limites sinon elle oppresse. Les libertés individuelles ne sont pas réservées aux plus forts, ce sont alors des libertés qui excluent.

Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit. 

Cette phrase de Lacordaire, homme politique du XIXè, nous rappelle la raison fondamentale de ne pas avoir peur du mot « solidarité » : les droits humains sont pour tous. Puisque les libertés débridées créent des inégalités, elles doivent être corrigées. Il ne faut pas avoir peur de réclamer des lois qui protègent, qui affranchissent, qui donnent aux plus vulnérables, au plus grand nombre …la liberté de choix. Et je ne parle pas des « lois du marché ».

Avoir accès au logement est aussi important que de s’exprimer librement. Cela parait choquant pour certains. Mais vivre dans la dignité est un tout indissociable, avec un toit, et une voix. Pour tous. La pauvreté n’est pas une fatalité, elle est décidée. Que notre attachement aux droits humains ne soit pas sélectif : Rappelez-vous : être libérés de la terreur ET de la misère.

Nourrir avec des banques alimentaires et des guignolées, réduire à des coûts variables l’éducation, le logement, la santé, permettre à des entreprises extractives de détruire environnement et lieux de vie, isoler dans la pauvreté les familles autochtones. Démoniser les personnes qui défendent ces droits.

N’ayons pas peur de notre choix pour Libertés individuelles ET dignité collective!

N’ayez pas peur de dénoncer ces abus, de dénoncer cette régression indigne de progrès humain. Si nous souhaitons de la croissance, voici bien l’unique priorité : la croissance de la dignité humaine, la véritable liberté de chacun dans une société qui garantit les droits humains pour tout le monde.

Ne restez pas silencieux en attendant que l’orage passe, parce que vous n’êtes pas concerné. Il ne passera pas si vous ne faites rien. Vous êtes concerné.

Bien plus que le bruit des bottes, je crains le silence des pantoufles. Cette citation reprise par plusieurs vous donne-t-elle une idée de l’importance d’agir pour notre liberté?

Nous avons le choix à ce tournant de ce siècle de décider de rendre la justice et la dignité réelles pour tous et toutes. Ici et maintenant.

N’ayons pas peur de nous.

Ceux qui combattent peuvent perdre.

Ceux qui ne combattent pas ont déjà perdu.        Bertold Brecht

Pourquoi le 8 mars déjà?

Posted in Uncategorized by béatrice vaugrante on 8 mars 2012

Pourquoi le 8 mars? Parce qu’aucun pays n’assure encore l’égalité, parce que cela reste une aberration sur Terre que cette égalité ne soit pas encore atteinte, parce que si ensemble on l’atteignait, on serait impressionnés de l’impact que cela aurait sur la réduction de toutes les autres violations de droits … et sur la façon dont collectivement on mesure la « réussite » ou la « performance »… Célébrons et agissons! Au gré de quelques souvenirs de voyage, je dis « chapeau! » au courage des femmes qui veulent se former sur leurs droits sexuels au Burkina; aux mamies qui défendent leur accès à l’eau dans un bidonville de Johannesburg ; aux jeunes filles dans le train pour Damas qui m’interpellent « pourquoi l’occident ne nous aime pas? » ; aux femmes travailleuses qui portent tant de terre sur la tête sur les chantiers de construction de Mumbai, à la femme itinérante costume léopard sur la terrasse d’un café à Sao Paulo; à celles qui triment dure pour faire de la récupération de manière collective et égalitaire à Buenos Aires, afin de cuisiner avec des oignons parce que, vraiment, quand on est au point de ne plus avoir d’oignons pour cuisiner, ça va mal ; aux femmes algonquines de Winneway, Témiscamingue qui osent témoigner des violences à leur égard, …BRAVO, continuons!

De l’indignation et de l’inspiration

Posted in Uncategorized by béatrice vaugrante on 22 décembre 2011

manifestation Tunisie

Ce début de siècle aura sa part de secousses mondiales significatives : quelle année 2011 funeste pour quelques dictateurs, mais à quel prix : des défenseurs de droits  tenaces, engagés collectivement pour dénoncer des décennies de noirceur, ont perdu des parents, des amis, leur dignité ou leur vie même. La peur au ventre et le courage dans le cœur. Je leur rend hommage. Un grand hommage.

Les révolutions des droits humains dans les régions d’Afrique du Nord et du Moyen Orient sont incroyablement porteuses d’espoir. Nos attentes cependant doivent être patientes : bâtir des sociétés de droits égalitaires et démocratiques ne se fait pas en quelques mois.

Amnistie continuera à documenter, à proposer des solutions et à soutenir les organisations locales. À l’ONU, dans la rue, dans les capitales, les militants demandent la liberté d’expression, la fin de l’impunité, la participation des femmes. Ils demandent aussi des réformes en justice et en sécurité et le soutien aux droits économiques et sociaux. Amnistie continue aussi à se tenir aux côtés de ceux et celles qui luttent encore.

Ceux qui soutiennent Amnistie ici et ailleurs nous permettent de poursuivre notre travail pour que d’autres pays ne soient pas oubliés : République démocratique du Congo, Birmanie, Sri Lanka,  Israël et Territoires occupés, Chine, Colombie, Russie … Notre mission nous oblige à répondre aux enjeux qui affligent des pans entiers de populations : migrations, évictions forcées, pauvreté et inégalités sociales. La société civile des Indignés a le droit de s’offusquer : la pauvreté n’est pas une fatalité, mais le résultat de décisions politiques. Nous continuons avec ténacité à gagner des petites et grandes victoires sur les droits des femmes, l’éradication de la peine de mort, les droits des peuples autochtones, des personnes homosexuelles. La « guerre au terrorisme » a fait rejaillir la torture, les détentions arbitraires, les procès inéquitables, venant pourtant de pays de droits. Amnistie s’insurge de ces choix faits au nom de la sécurité et des promesses non tenues : Guantanamo, 10 ans déjà en janvier 2012.

Nous résistons aux vents contraires qui réduisent comme une peau de chagrin la réputation du Canada en leader des droits humains : soutien inconditionnel à Israël, accord de libre échange avec la Colombie, projet de loi sur les réfugiés, entreprises minières canadiennes, Omar Khadr, … Amnistie est aux côtés des organisations et communautés autochtones pour documenter et dénoncer les conditions de vie indécentes, comme à Attawapiskat, la discrimination envers les enfants autochtones, la  violence envers les femmes autochtones,  le non-respect du consentement libre et éclairé quand il s’agit d’exploitations de ressources naturelles sur leurs territoires ancestraux.

Je pense aux femmes extraordinaires, qui ont reçu le prix Nobel de la paix. Saviez-vous que Madame Johnson-Sirleaf, prix Nobel de la Paix 2011, est la première femme élue démocratiquement présidente d’un pays africain? En 1985, Amnistie internationale l’avait adoptée et défendue comme prisonnière d’opinion. Voyez : en appuyant Amnistie, vous contribuez à faire libérer des femmes et des hommes courageux qui changent le monde!

Je pense à Aung San Suu Kyi qui reprend son combat et a enfin pu être réunie à sa famille et ses partisans. Je pense au jeune garçon avec qui j’ai manifesté dans les rues de Montréal pour dénoncer les violences en Syrie et qui s’inquiète pour ses parents. Ensemble nous pouvons le réunir à sa famille.

2001, nous fêtons notre 50è anniversaire en cette année incroyable pour les droits humains : l’idée d’un seul homme a donné aujourd’hui un Mouvement fort de plus de 3 millions de membres et sympathisants, dans 150 pays et toujours indépendant, n’acceptant aucune subvention gouvernementale et vivant de dons venant de personnes comme vous. Grâce à vous – votre don, votre temps, votre talent –  nous ne nous lasserons jamais :

–      De faire des campagnes

–      De récolter un nombre incroyable de lettres lors du marathon d’écriture pour libérer des personnes et les rendre à leur famille

–      De documenter ce qui se passe sur le terrain dans le monde et au Canada, de rechercher les faits

–      D’inspirer et de soutenir nos militants

–      De maintenir la pression aux Nations-unies, dans les capitales, et les Conseils d’administration

–      De communiquer aux medias et au public les enjeux et les victoires,

–      De forger des partenariats

–      De résister au recul en droits au Canada

–      De demander des comptes et d’en rendre

 

Un énorme merci à chacun et chacune d’entre vous qui faites Amnistie. Joyeuses fêtes avec les vôtres et Justice et Dignité en 2012, avec beaucoup de joie et de rires.

Faites un don des Fêtes à Amnistie. Rendez à des prisonniers leur liberté. Rendez-les à leur famille et à la société pour qu’avec vous, ils bâtissent un monde plus juste.

Béatrice Vaugrante

Directrice générale

Décembre 2011

 

Je vous présente le Prof. Akotionga

Posted in Uncategorized by béatrice vaugrante on 23 septembre 2010

Nous arrivons à la clinique de la première Dame (épouse du président) tenue par le Professeur Akotionga. La clinique offre des soins médicaux à la moitié du prix de ce qui se pratique ailleurs. Il arrive donc chaque soir entre 17h et 22h à rencontrer une vingtaine de femmes. La salle d’attente est pleine. Il est entouré de beaucoup de personnes le sollicitant, son cellulaire sonne constamment. Monsieur âgé à lunettes très jovial, il sourit, répond à tout le monde tout en nous invitant à le suivre vers son minuscule bureau de gynécologie et obstétrique.

Je l’avais rencontré au printemps à Montréal, nous avions été tous les 2 conférenciers au colloque de la société des gynécologues et obstétriciens du Canada (SGOC). Il est lui-même président de la société des obstétriciens et gynécologues du Burkina. J’avais eu le droit à une présentation médicale assez complète des ravages de l’excision, qui peut prendre de multiples formes. Certaines ne laissent qu’un petit trou pour uriner, on découd pour l’accouchement et on recoud par la suite…et des accouchements dans la vie d’une femme burkinabé, il y en a.

Il travaille depuis les années 90 à combattre la pratique de l’excision, avec le soutien de la SGOC entre autres, et de la Première Dame en particulier. « Beaucoup de choses ont changé, je me souviens qu’on nous accueillait avec des pierres dans certains villages » nous raconte-t-il. Il poursuit : « Une fille non excisée ne pouvait même pas être enterrée , donc on l’excisait avant d’annoncer son décès ». Éducation et l’implication du président interpellant les chefs traditionnels ont permis des résultats : il nous dit que maintenant 43% des femmes et filles sont excisées mais seulement 4% des  filles de 0 à 5 ans.

Il nous dit que la Première dame est en charge d’exécuter le plan stratégique concernant la santé maternelle. D’ailleurs cette semaine avait lieu une formation du personnel médical sur la santé maternelle. Le volet droits humains était inclus, attaché à la santé sexuelle et reproductive. Je suis curieuse d’en connaitre le contenu et Christian de AI Burkina se promet de faire le suivi avec la personne du WILDAF, (organisation non gouvernementale en Afrique de l’Ouest sur les droits des femmes et le développement) qui l’a donné.

Le professeur est bien informé du travail d’Amnistie sur la santé maternelle au pays. Nous parlons des leçons apprises lors des ateliers de formation sur les droits sexuels et reproductifs. Entre autres, il faut démonter les perceptions entourant la contraception et du personnel médical devrait être sollicité. Il nous réitère son appui et c’est très utile. En le remerciant pour son temps, il nous répond : « Mais non, mais non, c’est moi qui vous remercie, vous travaillez pour nos filles et nos soeurs ».

Une autre révolution tranquille à faire

Posted in Uncategorized by béatrice vaugrante on 21 septembre 2010

Quand je regarde le Québec il y a 40 ou 50 ans, je me dit que la formation d »aujourd’hui fait partie des étapes qui petit à petit mènent les révolutions….

Devant moi une quinzaine de militants d’Amnistie Burkina, bénévoles et engagés sur la campagne Exigeons la dignité, prêts à entendre parler des droits sexuels et reproductifs (DSR) , incontournables pour continuer le travail déjà bien entamé par la section sur la réduction de la mortalité maternelle. Ils sont jeunes et une majorité de femmes sont présentes. Cette fois-ci, dans la revue des DSR et du cadre légal national, africain, et international qui les sous-tend et  clairement oblige le gouvernement, je tente d’insister un peu plus sur ce concept : contrôle de la femme sur son corps. Des discussions s’enclenchent sur la notion de grossesse non désirée : non, ce n’est pas uniquement suite à un viol, c’est toute grossesse qui ne vient pas de la volonté de la femme, par ignorance, par soumission. « Oui mais les hommes ont leur mot à dire? ». Certes,  si la femme veut, mais si elle ne veut pas…

Les jeunes femmes encore prennent moins la parole que les jeunes hommes, mais dans le couloir lors de la pause, les langues se délient. Même en ville les discussions sur l’égalité homme femme n’est pas gagnée. Tant de perceptions à défaire, de pressions sociales à faire disparaître, de pratiques culturelles nocives pour les femmes à arrêter. Le groupe est très motivé pour trouver des pistes de solutions : du personnel médical pour démonter les préjugés ( » la pilule? oui si tu as déjà eu un enfant, sinon cela rend stérile »), chercher de l’aide juridique pour lancer des recours, créer un numéro gratuit pour parler de pratiques illégales sans crainte, interpeller les établissements scolaires sur le programme d’éducation sexuelle et encore convaincre les hommes là où ils sont : les stades, les bars avec des modèles convaincus, des artistes.

Nous venons de former des futurs formateurs et formatrices, c’est toute une aventure. Yves Traoré le directeur de Amnistie Burkina a même réussi à intéresser des médias à cette formation, des relayeurs nécessaires à notre travail. Mon entrevue rappelle l’engagement du président à lever les obstacles financiers pour les soins obstétriques d’urgence et la planification familiale, tout en n’oubliant pas la qualité. Car payer les soins n’est pas une fin en soi. Philippe Hensmans de Amnistie Belgique me relate une histoire entendue d’une femme qui témoignait au passage de la caravane en février : « Maintenant que les soins et l’accouchement sont payés par l’ONG, mon mari me demande 9 enfants au lieu de 7 ». Alors je passe aussi le message de l’éducation sexuelle, des droits des femmes. Enfin je lance un appel aux hommes pour encourager leurs femmes et montrer l’exemple et à se choquer d’une telle situation :  si le gouvernement assassinait 2000 personnes, cela ferait la une. 2000 femmes qui meurent de violations de leurs droits à la santé est du même ressort mais chut, silence.

J’ai vu un jour un tag sur un mur à Buenos Aires : « no puedo ser la mujer de tu vida porque soy la mujer de la mia ». Je ne peux pas être la femme de ta vie puisque je suis la femme de la mienne. Je suis bien fière de cette journée, une contribution à l’atteinte des objectifs du Millénaire non pas de New York mais de Ouagadougou.

Mme Koné invite les maris

Posted in Uncategorized by béatrice vaugrante on 20 septembre 2010

rencontre me koné« Nasara, nasara, ça va? » nous lance un jeune garçon au grand sourire. La camionnette file sur la route rouge terre coloriant ainsi humains, animaux et objets le long de sa voie.  Je lève mon pouce « ça va, ça va! ». Et il en va ainsi tout au long des 100 km parcourus vers Koudougou, 3è ville du pays. Tous les gamins et les femmes nous saluent, nous sourient tout en tentant de guider leur vélo, leur âne, leur motocyclette, leur chargement,  les bébés, les chèvres, ….La moitié du pays est jeune et la moité du pays est femme, je ne compte donc plus les saluts.  » Nasara »? cela veut dire « colon », c’est resté de l’époque. Tout blanc s’appelle colon. Faut pas le prendre personnel.

Au bout d’un terrain vague se trouvent les locaux de l’université et l’équipe d’Amnistie francophone – Belgique, Burkina Faso, Canada – débarque dans une salle de classe où déjà on nous attend. À nous de jouer  pour parler droits sexuels et reproductifs. La vingtaine de participants – deux tiers hommes, un tiers de femmes – proviennent d’associations locales pour les jeunes, la santé, les femmes, les droits, la planification familiale. Nous espérons pouvoir avec cette formation créer les début d’un comité local à Koudougou. En effet là où était passée la caravane d’Amnistie en février, des comités locaux ont été créés pour continuer la surveillance et la promotion sur les questions de santé maternelle. Notre campagne a convaincu le président du pays de prendre l’engagement de lever les obstacles financiers pour les soins obstétriques d’urgence et la planification familiale. Les attentes sont à la hauteur de l’impact.

Les chiffres au Burkina sont consternants : 2000 femmes par an meurent des suites liées à leur grossesse ou leur accouchement ;  ce sont les chiffres du ministère de la santé. Donc ils ne comprennent pas toutes les femmes décédées en dehors des centres de santé : chez elles, sur la route, …De plus 5000 femmes sont décédées entre 1995 et 2000 des suites de complications liées à des avortements faits dans des conditions dangereuses.

Sexe, sexualité : sujet tabou par excellence. Mais sous l’angle des droits, cela rationalise « la chose ». J’expose la distinction et la complémentarité entre droits sexuels et reproductifs, passe relativement vite – mais passe quand même – sur les questions de genre et diversité sexuelle car je sens bien que l’on touche le tabou du tabou. Les discussions s’animent sur les obstacles : pauvreté et corruption, pénurie et mauvaise qualité du personnel et du matériel, centres de santé inaccessibles, puis viennent les points sur la planification familiale – coûts, confidentialité, information –  et le statut de la femme – mère et épouse sous le pouvoir de son mari, excision, polygamie. Quand j’aborde l’incontournable nécessité de l’égalité des femmes pour régler la santé maternelle, je reçois de grands hochement de tête positifs des femmes. Les hommes prennent beaucoup la parole et même ici on entend peu les femmes. Alors je leur adresse directement mes questions :

« Dites-moi mesdames, qu’est ce qu’une maman dit à sa fille quand elle devient femme? », cela les fait sourire. Mme Koné se lance :

 » Une maman de mon groupe de femmes m’a raconté. Sa fille sortait un soir avec un garçon alors elle lui dit :  » s’il te dit de te mettre sur le dos, ne le fais surtout pas ! ». Le lendemain elle demande à sa fille : « Alors qu’as-tu fait hier soir? » et la fille de répondre :  » Pas de problème Maman, il m’a dit de me mettre sur le ventre ». L’éducation sexuelle auprès des jeunes est une des demandes importantes de la salle. Il est vrai que le maître mot pour la mise en oeuvre des droits sexuels et reproductifs est l’éducation : des filles, sur l’égalité homme – femme, sur la planification familiale, sur la sexualité, sur la santé reproductive.

Le groupe est séparé : l’un discute des recours pour tendre vers l’égalité homme femme et l’autre parle des recours pour tenter d’amoindrir les obstacles financiers et d’accessibilité. J’en retire 2 leçons :

– pour l’égalité des femmes, il faut embarquer les hommes. Convaincre les maris que tous – lui, la famille, la communauté – a à bénéficier d’une femme éduquée. Diffuser oralement – radio, video, images, tournées – l’histoire de ces hommes convaincus, de ces chefs traditionnels convaincus, de ces parents convaincus pour qu’ils servent de modèles positifs et engageants pour les autres.

– pour les soins, documenter ensemble les témoignages où une femme a subi des contraintes dans ses droits sexuels et reproductifs et exiger des comptes en regard des obligations nationales, africaines et internationales du Burkina Faso. Mais les craintes de représailles en refroidissent quelques uns.

Dans les 2 cas l’équipe d’Amnistie du Burkina qui fait déjà tant avec peu de moyens peut aider avec notre soutien.

En fin de journée, là où les couleurs et les odeurs sont magiques et le calme revenu, nous rejoignons dehors le groupe de femmes de Mme Koné. Elles ont organisé différents groupes d’achat et surtout un solide groupe d’entraide en cas de pépin. Mais pas seulement les pépins. Le cahier social note aussi les événements heureux. Elles rient à l’idée d’inviter les maris à la prochaine réunion, mais semblent d’accord pour essayer. On rit aussi è l’idée du t-shirt qu’on leur ferait porter « Je suis un homme, ma femme porte un stérilet ». Qui peut résister aux paroles de Mme Koné?

Merci de lui faire savoir.  pour agir

En route vers Ouagadougou

Posted in Uncategorized by béatrice vaugrante on 15 septembre 2010

Il est des noms de villes qui appellent à la rencontre quand on les prononce. Pour Montevideo, Ushuia, Alep, Varanasi, …j’ai répondu à l’appel et quelles rencontres! Il m’en reste beaucoup dont … Ouagadougou. Hé bien vendredi 17, je pars rencontrer Ouagadougou.

La campagne d’Amnistie au Burkina Faso est un bel exemple de notre engagement à éradiquer la mortalité maternelle, un des thèmes majeurs de notre campagne Exigeons la dignité. Il n’est pas normal de risquer la mort en donnant la vie. C’est le cas pourtant pour environ 2000 femmes par an au Burkina. Les causes sont nombreuses et se situent à plusieurs niveaux : les coûts pour les soins obstétriques, l’éloignement des centres de santé, le manque de matériel et de personnel qualifié, mais aussi surtout le peu de pouvoir des femmes sur leurs choix en matière de planification familiale, l’ignorance de leurs droits, les préjugés sur les moyens de contraception et le grand nombre d’enfants qu’il faut avoir vite, les pratiques comme l’excision…

Le gouvernement a eu des actions positives ces dernières années pour inverser la tendance. Une loi en 2005 a été votée pour statuer clairement les droits des femmes dans le cadre de la planification familiale. Et cette année, le président a promis d’agir encore pour réduire les coûts pour les soins obstétriques et l’accès à la planification familiale. Mais il reste beaucoup de chemin à faire de la décision à la mise en oeuvre. Car surtout dans les régions rurales, le message ne s’est pas encore rendu.

Atteindre les populations, surtout les femmes pour leur faire connaître leurs droits et surtout les hommes pour les convaincre que toute la famille bénéficie de femmes en autonomie, ce fut le but de la caravane d’Amnistie en février 2010. Soutenir les organismes locaux dans leurs revendications et actions fut aussi l’objectif atteint, que nous souhaitons réitérer par cette visite en septembre. Depuis 2009, Amnistie a documenté , fait campagne, travaillé avec des partenaires, rencontré des officiels gouvernementaux. Et la campagne continue pour renforcer la pierre angulaire de l’autonomisation des femmes : l’éducation sur leurs droits sexuels et reproductifs. C’est l’objectif de ma visite, de ma prochaine rencontre avec Oua-ga-dou-gou.

La paysanne et l’ours

Posted in Uncategorized by béatrice vaugrante on 11 janvier 2010

Je viens de commenter un excellent article qui comme je les aime ne peut que donner lieu à débats et réflexions. J’émets moi aussi des limites sur les luttes environnementales qui au niveau du grand public ont tendance à se cantonner sur les solutions individuelles et matérielles en omettant de batailler pour des politiques et des pratiques qui mettent fin aux graves conséquences sociales dues au gaspillage des ressources. Dans le même esprit que mon artice précédent sur les guignolées, cela donne bonne conscience, est certainement nécessaire à court terme mais ne change rien à la source des problèmes et permet même surtout de ne pas trop se poser de questions sur les responsables, et les solutions collectives à long terme, qui certainement remettraient bien trop de choses en cause.

Les impacts des changements climatiques sur les droits économiques et sociaux de millions de personnes sont énormes. Je m’inspire d’une conférence donnée par Mary Robinson de Realizing rights à laquelle j’ai assisté en novembre à Copenhague. Impact sur l’eau , la production de nourriture, la santé, les infrastructures (écoles routes, …). 70% des fermiers agricoles en Afrique sont des femmes. Entre les sécheresses et les inondations, il n’y a plus de saisons. Et évidemment pas d’assurance ni d’aide . Cela ne s’arrête pas là. Les villages disparaissent, les revenus aussi. Les femmes se tournent vers la prostitution, les bidonvilles. Pertes de terres, pertes des structures sociales. Et en 2050 150 millions de personnes déplacées à cause des changements climatiques.  L’insécurité totale  attends ces errants sur les routes dont personne ne veut. Derrière l’impact social et économique se cache la discrimination car ce sont les femmes qui sont le plus durement touchées. Et les plus pauvres aussi (mais 70% des pauvres sur Terre sont des femmes). Car c’est le style de vie des plus riches qui affecte la qualité de vie des 50 pays les plus pauvres.  C’est cela aussi l’injustice.

La justice climatique demande que les pollueurs payent, que les pays pauvres aient la capacité d’agir, qu’il faut partager les tâches et les responsabilités, qu’il faut assurer la transparance et la participation, et remplir des promesses contraignantes. On parle donc non pas seulement de droits économiques et sociaux, mais de liberté d’expression, liberté d’association, d’accès à l’information et d’équité. Le marché ne connait pas ses mots-là. Les humains, oui.

Et pour que les droits humains et l’environnement bataillent ensemble, pour que l’image de l’ours polaire à la dérive  soit complète il faudra ajouter une paysanne autochtone sur le sable.

Journée internationale des droits humains et guignolée? oops

Posted in Uncategorized by béatrice vaugrante on 4 décembre 2009

Ça ne marche pas.

La guignolée des médias se tient cette année la même journée que la journée internationale des droits de l’homme le 10 décembre.  On ne peut pas année après année continuer à faire l’autruche et penser souhaiter fort fort que les guignolées vont nous permettre de mettre un peu de notre obole au soulagement de la misère une fois par année. Quelle incongruité que cela tombe la journée des droits de l ‘homme  : ils sont tellement occultés dans les messages de guignolée. Je n’ai rien contre les solutions d’urgence qui permettent effectivement à quelques familles d’améliorer temporairement un confort matériel. J’en ai contre ces solutions d’urgence qui ne sont que les solutions qu’on nous présente, nous permettant surtout de ne pas remettre en cause les raisons intrinsèques qui aggravent et génèrent la pauvreté. Quel manque de dignité envers les exclus et quel manque de responsabilité  de nos sociétés de permettre que structurellement à l’année longue, ces mêmes milliers de familles en arrachent en silence pour leur nourriture, leur toit, leur santé, l’école…et leur liberté d’expression car avez-vous remarqué, on ne les entends pas. Enfin on ne les écoute pas.

La pauvreté est la conséquence de violations de droits humains : nos gouvernements ont la responsabilité de garantir le droit au logement, à la nourriture, à l’éducation, à la santé, à des conditions de travail décentes… Non ce n’est pas le miracle de la croissance qui va régler ces problèmes car cela a été démontré, la croissance rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Les personnes pauvres payent en plus pour les crises économiques aussi. Enfin la croissance ne règle pas le manque d’information, la discrimination (70% des personnes pauvres sont des femmes), l’insécurité, la répression – ceux qui manifestaient contre la hausse du prix du blé s’en souviennent et même ceux qui dorment dans les parcs ou dans les futures villes olympiques.

Aucune grande bataille gagnée contre l’apartheid, les dictatures, contre la discrimination des femmes, des Noirs…se s’est faite sans une référence fondamentale aux droits. Ce devra être pareil pour lutter contre la pauvreté : il faut reconnaître et surtout rendre accessibles ces droits économiques et sociaux dans nos politiques publiques et lutter pour que les personnes pauvres aient les moyens de se battre pour leurs droits, donc leur permettre la liberté d’expression et l’égalité. Il faut plus que la charité pour lutter contre la pauvreté, il faut la justice.

Béatrice Vaugrante

Omar Khadr, Guantanamo : vous l’avez fait, défaites-le maintenant

Posted in Uncategorized by béatrice vaugrante on 14 novembre 2009

omarkhadrLa cour suprême vient d’entendre ce 13 novembre les deux parties dans l’affaire d’Omar Khadr. Amnistie internationale a pu présenter son mémoire et faire une intervention orale démontrant pour une énième fois que ce jeune Canadien représente à lui seul une accumulation hallucinante de violations de ces droits : détention arbitraire (7 ans sans jugement!), enfant-soldat, torture et mauvais traitements , procès inéquitable. Les juges ont semblé démontrer de la compassion pour cet homme de 23 ans maintenant. Mais leur rôle est de démêler cet imbroglio juridique qui leur permettra – ou non- de confirmer la décision de la cour fédérale, à savoir que …oui, une cour, peut ordonner au gouvernement de rapatrier un Canadien non pas sur la base de l’ingérence en politique étrangère mais sur celle du respect des droits humains avant tout.

Quel argument de droit international, de droit administratif, de droit constitutionnel vont-ils triturer dans tous les sens pour répondre à la question du gouvernement? Comme pour Guantanamo, nous en sommes arrivés à des situations juridiques inextricables, avec des efforts déployés pour trouver des solutions de sortie à ce qui fut bâti en peu de temps et qui est devenu le quotidien infernal pour des centaines voire des milliers de personnes (qui s’occupe de la prison de Bagram en Afghanistan?).

Les arguments du gouvernement canadien sont connus et désolants : cela ne relève pas de la cour, c’est du ressort de la politique étrangère. Et nous avons déjà tout fait pour le bien-être d’Omar Khadr. La justice des États-unis devrait suivre son cours.

Les commissions militaires – même remaquillées – ne sont pas la justice. La Cour suprême du Canada et la Cour suprême des États-Unis ont toutes deux établies que le fait de détenir des prisonniers à Guantanamo Bay n’était conforme ni au droit national ni au droit international.

Depuis 2001, les gouvernements ont joué sur tous les tableaux, même juridiques, et ont pu ainsi monter des systèmes très complexes permettant de faire des brèches énormes dans nos engagements en droits humains. Il va falloir mettre encore plus d’efforts pour les défaire. Mais puisque c’était possible à faire, c’est possible à défaire.

Pour agir.

Béatrice Vaugrante